C’est parfois dans des endroits incongrus que l’on entend des phrases qui font « tilt », qui nous font dire, « tiens, intéressant »,ou encore « tiens, c’est assez vrai ».On est perdu dans nos pensées et on capte des bribes de conversation qui nous montrent le monde d’une autre façon, ou qui nous ouvrent à un raisonnement que l’on n’avait pas envisagé. C’est un peu cela qui m’est arrivé il y a quelques jours.
J’étais à l’hôpital avec mon père âgé qui devait faire des examens. Depuis quelques temps déjà, je méditais sur l’âge. Mon père m’y aidait, car depuis sa fracture du col du fémur il répondait systématiquement à la question classique « comment ça va ? », avec une pointe d’humour : « comme un vieux… ». Bref, poussant son fauteuil hospitalier en cherchant mon chemin dans le dédale de couloirs, j’étais perdue dans mes pensées sur la vieillesse, sur ce que mon père souffrait de sa perte d’autonomie, et de ce que vieillir avait d’inéluctable. Je réfléchissais au sens que cela avait, au pourquoi de ces souffrances physiques et de ces pertes successives qui nous attendent tous. Comment en effet trouver l’énergie de se lever le matin, pour attaquer une journée en apparence passive ? Comment trouver un intérêt aux émissions de télé, à l’actualité ou aux petits rituels qui composent la journée d’une personne âgée ? Comment garder le sourire, l’allant, l’envie d’avancer, de continuer ? La vie n’est-elle pas derrière soi ?
Quand soudain notre petit train roulant en croisa un autre composé d’une infirmière poussant un homme d’un certain âge, plutôt dans le 3ème, comme on dit, que dans le 4èmecomme mon père. Ils semblaient deviser sur les mêmes sujets qui me préoccupaient, quand l’infirmière dit cette phrase : « Dans le mot vieillesse, il y a le mot vie ! ». Ce à quoi son patient opina du chef avec approbation.
Si l’on vieillit, c’est que l’on vit. C’est qu’on n’a pas succombé à une crise cardiaque à 50 ans, ou à un accident de voiture à 25. C’est qu’on a survécu au stress, à la cigarette, et à l’alimentation pleine d’OGM. C’est que ni les soucis ni un mauvais cancer ne nous ont tués. C’était pourtant évident. Quelle bonne nouvelle ! Quelle belle façon de voir la pente déclinante de la vie, celle qui nous mène génération après génération vers le même sort, qui nous guette tous pour nous mener vers la sortie, vers la fin, vers l’issue, vers la mort….
L’ironie est que la vieillesse a mauvaise presse. Les rides et les rhumatismes ne font pas rêver, et l’oisiveté à laquelle nous aspirons parfois, a quelque chose d’effrayant quand elle est associée au vieillissement. Et ce dernier justement peut nous sembler si éloigné quand nos vies sont trépidantes, remplies de projets et de défis. Notre insouciance est reine quand notre corps ne nous fait pas défaut pour avancer, et pour nous permettre de réaliser nos envies. Il y a même parfois une sorte de croyance, plus ou moins consciente, selon laquelle nous pourrions éviter le vieil âge et ses inconvénients, tout en vivant vieux…. Quelle prétention ! Et pourtant, n’est-ce pas ce qui nous protège des questions existentielles dont nous n’avons pas la réponse ?
La vieillesse serait donc une chance, la preuve que l’on est en vie, que l’on peut profiter d’un repos mérité après une vie active, remplie de joies et de peines, d’efforts et de récompenses. Ce serait le moment de se retourner sur sa vie, d’y voir ses accomplissements satisfaisants, mais sans doute aussi ses échecs, ses manquements, ses erreurs. Ce serait enfin le moment où l’on n’a plus à prouver à nous-mêmes, à nos proches, à la société, que nous sommes de bonnes personnes. Finalement, c’est le moment où la seule chose que l’on attende de nous, c’est d’ÊTRE. Être des personnes présentes à nous-mêmes et aux autres, disponibles pour écouter, pour accueillir, pour montrer de la patience et de la compassion. C’est le moment où « être en vie » sert à « mettre en vie » ceux qui croisent notre chemin. Car finalement, quand notre vie touche à sa fin, nous nous l’avouons, la vie active n’est pas facile. Jeunesse ne rime ni avec facilité ni avec paix. Et ce secret nous permet d’avoir une présence bienfaisante auprès de ceux qui sont épuisés, inquiets, bousculés par la vie trépidante et active. Nous pouvons offrir notre disponibilité pour encourager, booster, et partager ce que la vie nous a appris. Car toute vie est riche et précieuse, et peut inspirer celle des autres…
@Article écrit par Domitille Desrousseaux
Consultante et Formatrice en Développement Personnel et Relationnel